Tout plaquer pour se (re)découvrir par le voyage
C’est l’histoire d’un voyage, un long voyage de plusieurs mois. 14 au total, de janvier 2016 à mars 2017. Un voyage qui part de Montpellier pour aller traverser une bonne partie de l’Amérique du Sud, à travers des missions de volontariat dans une douzaine de fermes bios.
Ces fameux wwoofing, ou work away. C’est l’histoire d’un voyage qui a été ponctués de rencontres extraordinaires, de situations ubuesques, de situations parfois dangereuses, d’apprentissage de la vie, d’amitiés, de désintéressement, de joies et de larmes. Tellement de choses qu’on ne nous apprend pas sur les bancs de l’école.
Un long chemin avant l’envol
Mais il faut commencer par le commencement. Un tel voyage peut se décider sur un coup de tête, mais c’est bien souvent le fruit d’années de réflexions et d’hésitations. Décider de tout quitter, une situation stable, un métier bien payé, une « place » dans la société, pour l’inconnu, la nouveauté et peut-être la marginalité. Sortir de sa zone de confort. Sortir de ses certitudes. Quitter une vie agréable mais monotone, pour vivre des joies et des peines ô combien plus intenses. Accepter de toucher le fond pour vivre parfois sur des sommets. Car ces sommets valent le coup. Se sentir vivant. Enfin. Une phrase résume bien la chose : « j’aimerai bien être heureux, mais ça ferait un trou dans mon CV ».
Au départ de ce voyage, Carine, graphiste à Lyon, et Marwen, ingénieur en énergies renouvelables dans une grosse multinationale à Montpellier. Nous sommes tous deux en pleine remise en question du monde dans lequel nous vivons. Un monde où le mot démocratie n’a plus beaucoup de sens, où 1% de l’humanité s’accapare 80% des richesses créées. Un monde où le besoin insatiable de croissance d’une poignée de fous conduit à la sixième extinction de masse des espèces. Un monde où les réfugiés sont traités comme du bétail. Et, au niveau personnel, un monde où notre travail n’a plus aucun sens.
Alors pourquoi se tuer au boulot pour le bénéfice de quelque actionnaire déjà bien gras ? Pourquoi accepter de faire du GreenWashing en prétendant faire du renouvelable ? Comment accepter encore de faire passer sa petite situation confortable avant toute éthique ou tout bon sens ? La crise de la quarantaine d’antan s’est transformée en crise de la trentaine. Plus d’internet, plus d’infos sur le monde qui nous entoure. On ne pleut plus dire « ah mais je pouvais pas savoir ». Marre des bullshits jobs. Marre d’avoir 23 ans, de sortir d’école et de déjà entendre « et tu penses à ta retraite? ». Marre de s’interdire de vivre.
La vie n’est pas faite pour être fade et monotone. Elle doit pétiller, exploser, fuser en tout sens. Elle doit quitter le raisonnable pour la passion. Pour moi, désormais, elle sera pleine et entière ou ne sera pas. Nous larguons donc les amarres. Avec fracas. Salut patron, je suis là, je suis plus là! Advienne que pourra.
Départ et volontariats
Et nous voilà dans l’avion pour Rio.
Après un rapide passage dans la capitale da festa, samba e cachaça, nous arrivons à Sao Paulo. Premier volontariat. Et première expérience à la campagne. On ne pouvait pas mieux tomber. Une famille en or, un accueil plus que chaleureux. Malgré les difficultés de communication au début, nous apprenons vite. Dès le début, en agriculture bio, surtout sous les tropiques, il y a un énorme travail manuel de désherbage. « Tirar o mato ». Le prix à payer pour des légumes sains et beaux. Nous nous levons tôt, pour éviter les heures chaudes, et nous nous couchons tôt, petits citadins que nous sommes vite exténués par le boulot physique. Exténués, mais heureux. Nous apprenons tellement. Les jours s’enchaînent, les expériences en permaculture et en agro-foresterie également. Comme à Camboriú dans le Sítio Ecológico Morro Do Espinhal.
Il y aura tellement d’autres fermes, d’autres rencontres. Certaines très bonnes, d’autres non. Combien de faux écolos avons-nous rencontré. Ceux qui surfent sur la vague bio pour avoir de la main d’oeuvre gratuite. Je me rappelerai toujours de ce monsieur dans le nord du Brésil, qui avait un discours magnifique sur la nature, la connexion avec la Pacha Mama, mais qui traitait son employé comme un moins que rien, et allait chercher sa bière en 4×4 à la station service à 100 m de la maison… Ce qu’il y a de bien avec le volontariat, c’est qu’il n’y a rien d’engageant. Lorsqu’on se rend compte que ça ne va pas, il ne faut pas hésiter à dire merci, au revoir.
Fort heureusement, la plupart des expériences sont magnifiques. Comment résumer 14 mois de voyages en quelques lignes? On retient surtout les événements marquants.
Comme ce vignoble au Chili, tenu par un français fort sympathique :« Vitivinicola ALPA » à Coiron. Où travaillait un ouvrier agricole qui nous a accueilli comme ses enfants, nous a appris à tailler la vigne et monter à cheval. Où les adieux se sont fait dans les larmes.
« Magic Land » à Alto Paraiso : vivre dans une petite cahute
Ou encore cette famille israélo-brésilienne à Alto Paraiso, où nous vivions dans une petite cahute, dans un domaine perdu au milieu de nulle part. Un domaine parcouru par trois rivières et deux cascades. Un domaine où vivaient une dizaine de familles en recherche d’autonomie, et d’expériences aromatiques plus que psychédéliques.
En Colombie, inoubliable, ce séjour à la plantation de café. Lorsque vous cueillez vous-même le grain, que vous le faites sécher, que vous l’épluchez, le toastez et le moulez, vous goûterez le meilleur café que vous ayez bu dans votre vite. Notre hôte, spécialiste de la recherche d’autonomie sous toute ses formes, nous a aussi permi notre première expérience avec l’ayahuasca. La medicina, comme disent les indiens. Une plante qui apporte beaucoup de choses, et vous fait voyager au plus profond de vous même, et du monde qui vous entoure.
Au cours des expériences, chez tous ces hippies que nous adorons, nous nous rendons compte aussi des limites de la vie en communauté. Pour nous, un projet durable ne peut se faire qu’avec des personnes sur la même longueur d’onde. Pas forcément des personnes similaires, ou avec le même parcours, ce sont les différences qui créent la richesse. Mais sur la même longueur d’onde. Et qui ont le respect de l’autre. Et la plupart du temps, les communautés qui fonctionnent sont celles où chacun peut avoir sa « bulle », son espace à soi, ce qui n’empêche en rien les chantiers collectifs, car on fait tellement plus à plusieurs que seul.
Voyage en stop et camping
Puis, au delà du volontariat, c’est en voyageant en stop que les rencontres et les anecdotes ont été les plus intenses. Et les plus improbables. Lorsqu’une dame en Argentine vous propose de vous emmener sur 400 km, puis vous offre le gite et le couvert 3 jours durants, tout simplement parce qu’elle est ravie d’avoir de la compagnie. Ou ces pêcheurs au Brésil qui vous voient préparer un feu sur la plage pour la popote, s’approchent, et sans un mot, vous tendent deux poissons et s’en vont.
Quelque soit le pays, c’est à la campagne que nous avons rencontré les gens les plus chaleureux, les plus accueillants. La plupart du temps des gens très simples, qui ne s’embarassent pas de manières ou de bienséance. Et celà a changé notre façon de voyager.
Au tout début, lorsque nous campions, la tête encore pleine d’histoires de touristes qui se font agresser ou dépouiller, nous plantions la tente le plus loin possible de tout. Nous nous cachions. Alors qu’il suffisait d’aller voir les gens. Leur demander poliment « ça ne dérange pas si on campe ici ? ». Et la plupart du temps les personnes que nous rencontrions étaient ravies que nous venions leur parler, proposaient souvent de jeter un coup d’oeil sur nous pour que rien ne nous arrive, et parfois nous invitaient carrément à planter la tente dans leur jardin. Combien de personnes extraordinaires avons-nous rencontrées, juste en franchissant la barrière de la crainte.
Ah autre chose, quelle joie, quel bonheur d’avoir laissé son téléphone en France. De ne plus être joignable. De ne plus avoir de compte à rendre, à personne. D’avoir été épargné le plus tard possible de la nouvelle de l’élection de Trump car nous étions perdus depuis deux semaines en pleine Amazonie. Quel bonheur de vivre au jour le jour, de ne se soucier que de savoir où planter sa tente le soir, ou de trouver le meilleur spot pour faire du stop à l’arrière d’un énième pick-up.
En bref
Cette année j’e n’aurai pas gagné d’argent. Je n’aurai pas fait ce que la société, la bienséance et mon banquier attendaient de moi. Cette année je n’aurai pas gagné d’argent, je n’aurai même fait qu’en dépenser. Un peu. Un peu plus de 3000 euros pour voyager une année entière. Un peu plus de 3000 euros pour traverser de long en large tout un continent.
Cette année je n’aurai pas gagné d’argent, mais :
- J’ai traversé 8 pays dans toute l’Amérique du Sud,
- J’ai travaillé comme volontaire dans une dizaine de fermes bios différentes,
- J’ai appris les principes de base de la permaculture,
- J’aurai vécu dans une famille brésilo-japonaise, chez des dreadeux fumeurs de pet, dans une famille allemande de vétérants du cirque avec un ancien clown et une ancienne acrobate, chez des témoins de Jéovah super sympas, dans une communauté hippie, chez un vigneron français trop cool, chez un vieil allemand hippie naturiste, dans une famille israélite avec qui on a cuisiné des plats marocains et tunisiens,
- J’ai traversé un désert sans guide, à la lumière de la lune, en m’aidant d’une boussole et d’une paire de jumelles,
- J’ai remonté les filets avec des pêcheurs brésiliens et péruviens,
- J’ai vu au télescope les anneaux de Saturne, et les lunes de Jupiter, depuis une montagne perdue de la Cordillère des Andes au Chili,
- J’ai participé à trois cérémonies d’Ayahuasca, en Colombie, et au Brésil, et j’y ai découvert des choses insoupçonnées,
- J’ai appris à jouer de l’harmonica,
- J’ai appris à monter à cheval, et galopé pour la première fois de ma vie, dans les vignes chiliennes,
- J’ai fait du stand-up paddle dans les mangroves, et au milieu d’un groupe de dauphins,
- J’ai participé à une cérémonie Mapuche au Chili pour le solstice d’hiver, et rendu hommage à la PachaMama,
- J’ai fait du bateau stop à 4 h du mat en revenant de deux jours de marche dans le désert,
- J’ai vendu des crêpes dans la rue à Mendoza pendant la marche pour la légalisation du canabis,
- J’ai appris à parler portugais,
- J’ai appris à travailler la terre,
- J’ai appris la valeur de l’eau,
- J’ai redécouvert l’instinct animal de l’homme qui a faim,
- J’ai arrêté de fumer (mas o menos),
- J’ai construis un four avec un vieux bidon, de la terre et de la paille,
- J’ai surmonté ma peur du grand large pour nager seul à 2 km de la plage et voir la barrière de corail, et j’ai croisé deux raies gigantesques sans avoir de crise cardiaque,
- J’ai appris à traire une chèvre, et à faire du fromage frais,
- J’ai aterri dans un village bolivien le jour de la fête de ce dernier, et découvert le jeu local consistant à enterrer un canard vivant et essayer de le déterrer au lasso les yeaux bandés, avant de se bourrer la gueule à la chicha,
- J’ai appris à faire de la chicha,
- J’ai appris à faire de l’huile essentielle sur un alambique artisanal,
- J’ai vu les limites des projets communautaires,
- J’ai descendu l’Amazone avec Nietzche, Karl Marx, Dostoïevski et Alain Damasio,
- J’ai survécu à une nuit de tempête de sable enfermé dans ma tente,
- Je me suis fait mordre par un chien des rues au Pérou, et j’ai pas choppé la rage, ce qui est cool,
- J’ai gravi des montagnes pour atteindre des sites archéologiques Incas, dont le Choquequirao,
- J’ai suivi un cours de taï-chi sur l’Amazone, donné par un vieux mexicain révolutionnaire, qui m’a appris des choses sur les guerres secrètes de ce monde et sur les extra-terrestres,
- J’ai suivi mon premier cours de yoga,
- Je me suis brûlé les cheveux trois fois en faisant du pain dans un four trop chaud,
- J’ai dansé la samba de coco,
- J’ai appris à accepter ce qui était offert de bon coeur sans me sentir gêné,
- J’ai rencontré plein d’arnaqueurs, et j’ai appris à dire non,
- J’ai rencontré tellement de faux hippies qui n’ont de hippie que l’apparence,
- J’ai appris des recettes de cuisine dans toute l’Amérique du Sud,
- J’ai appris à tailler la vigne,
- J’ai appris les rudiments de la vinification,
- J’ai traversé le désert de l’Atacama,
- J’ai vu le salar d’Uyuni,
- J’ai vu un colibri rentrer dans ma chambre,
- J’ai appris à faire des designs photovoltaïques pour particuliers,
- J’ai cueilli du café en Colombie, je l’ai toasté et moulu,
- J’ai appris à faire de l’huile de coco,
- J’ai vu des condors, des serpents, des lamas, des singes et des vigognes,
- J’ai traversé des déserts de sel,
- J’ai traversé la cordillère des Andes,
- Je me suis fait offrir des frites par un vieillard au Chili,
- J’ai réappris la valeur de l’argent,
- J’ai nagé avec des dauphins en Uruguay,
- J’ai été pris en stop à l’arrière de mille pick-up,
- J’ai entendu le cri de singes hurleurs dans la forêt,
- J’ai bu de l’eau d’une coco tombée de l’arbre devant moi,
- J’ai construit un système de chauffage à bois pour l’eau d’une douche au Chili,
- J’ai appris à prendre mon temps,
- J’ai mangé des dizaines de fruits nouveaux,
- J’ai vu comment filer du coton,
- J’ai roulé mon propre cigare dans du tabac bio,
- J’ai appris à coudre et à racomoder,
- J’ai usé mes chaussures de marche jusqu’à la corde,
- J’ai repris l’écriture de mon roman,
- J’ai participé à une roda de capoeira sur la plage au coucher de soleil,
- J’ai cueilli des bananes à la machette dans la jungle,
- J’ai bu du chocolat bio au canabis (bio aussi),
- J’ai appris à dormir dans un hamac sans avoir mal au dos,
- J’ai vu une tempête d’éclairs en Uruguay,
- J’ai appris à faire des pâtes maison,
- J’ai appris à vider les poissons et les lapins,
- J’ai passé une nuit dans un hôtel 5 étoiles pour 18€ à Brasilia,
- Je suis tombé sur un épisode du commissaire Maigret au fin fond du désert dans le nord du Chili, et je l’ai regardé (jusqu’à la fin, sans m’endormir),
- J’ai vu des dauphins roses dans l’Amazone,
- J’ai visité plein de musées du chocolat uniquement parce qu’il y avait des dégustations gratos,
- J’ai appris à cueillir et ouvrir les noix de coco,
- J’ai vécu un mois avec une chèvre psychopate,
- J’ai appris à faire des cabanes en palme de cocotier,
- J’ai fait des terrasses agricoles,
- J’ai planté des papayers et des bananiers,
- Je me suis fait réveillé par des flics au milieu de la nuit parce que je dormais dans la rue en Uruguay,
- J’ai vu comment produire du gaz pour économiser de l’essence,
- J’ai cuisiné un pain dans un four solaire,
- J’ai passé le réveillon dans une plaine en haut des montagnes, à 20km de toute autre trace humaine, et en buvant de l’eau de source,
- J’ai vu une partie du territoire des indiens Kogi en Colombie,
- J’ai randonné une semaine en autonomie dans la Chapada Diamantina,
- J’ai dansé la samba une heure durant en pleine rue avec une magnifique brésilienne pendant le carnaval de Rio, alors que je sais pas danser la samba.
Retour et changements indélébiles
Comment revenir à une vie « conventionnelle » après avoir connu une telle liberté ? Passer à nouveau 8h par jour dans un bureau devant un ordinateur ? Être astreint de répondre à son téléphone au plus vite, de respecter des cadences, d’être « productif »? C’est tout bonnenemt impossible. On ne revient pas inchangé d’une telle expérience.
Au final seront revenus une Carine et un Marwen 2.0. Prêts pour une nouvelle aventure dans les Cévennes. Et même si la vie n’est pas si simple et que tout ne se passe pas comme prévu, ils sont en voie vers leur personnalité 3.0. Celle où la recherche d’autonomie, alimentaire, médicinale, sociétale et démocratique est devenue un pilier de leur vie. Une vie à la campagne où cultiver son potager est un plaisir mais aussi un acte militant.
À peine les premiers légumes plantés que l’appel du voyage me reprend. Tout le monde connait le dicton « les voyages forment la jeunesse ». Mais il y en a un que j’affectionne plus encore, un proverbe africain, qui dit que « L’homme oscille toujours entre envie de voyages, de découvertes et de nouveauté, et l’envie d’enracinement, de fonder une famille et de créer quelque chose de pérenne. Toute la subtilité, la difficulté et la beauté est de savoir concilier les deux ».