Devenir un voyageur slow : l’expérience bouleversante de Julien Coudsi
C’est lors d’une exposition photo organisée dans le cadre du festival What A trip, que j’ai fait la connaissance du travail d’un voyageur slow, Julien Coudsi : « Itinérance Lozérienne ». Dans cette exposition, Julien Coudsi nous fait part de son rapport au voyage. Un regard sur des voyages plus lents, sur l’expérience du déplacement, qui nous amène à une réflexion nouvelle de notre rapport au territoire. Au rythme de la marche, le rapport au temps et au paysage prend une dimension autre. Cependant, Julien Coudsi n’a pas toujours été un voyageur slow. Ses premiers voyages étaient plutôt consuméristes, et répondaient à une liste de choses à faire impérativement. C’était du « vrai tourisme », nous raconte-t-il. Que s’est-il produit dans la vie de Julien Coudsi pour métamorphoser son mode de voyage ?
Si aujourd’hui, Julien Coudsi est devenu un voyageur slow et éco-conscient, il sait qu’il ne pourra pas revenir en arrière, tant ses voyages le nourrissent dans sa rencontre au territoire, que sur un chemin qu’il définit comme plus spirituel. Ce matin d’automne, nous nous sommes retrouvés pour notre interview sur un banc place de la Canourgue à Montpellier, avec pour décor de fond, notre amer des garrigues, le Pic Saint-loup. Voici un lien pour écouter notre échange, un enregistrement artisanal, on entend un peu de vent sur le début, mais ça se calme assez vite pour une écoute plus audible. Cliquez sur le lien ci-dessous pour écouter le témoignage de Julien Coudsi :
« La marche ne consiste pas à gagner du temps, mais à le perdre avec élégance »
David Le Breton
L’appel du voyageur slow, une évidence
Tu as fait le choix du voyage slow, de voyages plus lents et sans kérosène. Peux-tu nous dire si tu as toujours été dans cette démarche, ou comment cette envie de vivre les voyages avec une conscience plus écologique s’est installée dans ta façon de voyager ?
Pas du tout. Je n’ai pas toujours voyagé slow. Il y a trois ans, on m’a offert un bouquin « L’usage du monde » de Nicolas Bouvier. En fait Nicolas Bouvier est un écrivain voyageur suisse des années 50, qui part jusqu’au Moyen-Orient avec une vieille Fiat. Il traverse monts et merveilles, malheurs et bonheurs. Ce n’est pas un voyage, c’est une aventure. Donc cette lecture a semé quelques graines en moi. Puis après, j’ai commencé à me sensibiliser à tout ce qui était « écologie ». Aussi, j’ai commencé à prendre conscience de pas mal de choses actuelles qui ne sont pas très joyeuses : le changement climatique, puis surtout les dépendances au pétrole.
Cet ensemble a produit une sorte de cocktail dans mon cerveau. Et j’ai commencé à réfléchir à ma manière de voyager. Alors je me suis dit que prendre l’avion – chose que je faisais beaucoup avant – c’était pas vraiment jojo ! Au final, c’est un mode de transport où on ne voit rien, on passe d’un point à l’autre, on n’a pas vraiment le temps de se saisir du trajet.
Donc c’est comme ça qu’est née l’envie de faire différemment ! Étant donné que j’aimais déjà la randonnée, ma manière de voyager lentement, c’est la marche. Alors j’ai eu l’idée de partir de chez moi à pied. Après le premier confinement, j’ai claqué la porte de mon appartement à Montpellier, et je suis parti à pied direction les Cévennes. Je n’avais pas de trajet précis. Et c’est la première fois que j’ai testé ce type de déplacement. Un voyage tel une consécration, j’ai mis deux jours à atteindre une ville que je pouvais atteindre en une heure en voiture ! Alors j’ai fait un énorme parallèle, j’ai trouvé ça dingue.
Le pétrole c’est magique, mais en même temps on voit rien. À pied, j’ai revu un trajet que je connais par cœur, Montpellier-Ganges, et ça a eu un véritable effet sur moi. Tout ce que j’ai pas vu, tout ce qu’on voit, les sensations, etc. Suite à cette expérience, je me suis dit que je recommencerai. Donc j’ai recommencé pour la Lozère à l’automne 2020. Pour l’instant, je n’ai fait que ces deux petits voyages, qui durent à chaque fois que quelques jours. Mais spirituellement, au niveau des sensations, des souvenirs, c’est très différent. Par exemple, je me rappelle de plein de choses que je ne me rappelle pas forcément que quand je voyage en voiture, en avion, en train.
Changer ses habitudes de voyage
Pourrais-tu nous raconter en quelques mots, comment tu voyageais avant ? Avec le recul, est-ce qu’il y a des aspects dans cette « ancienne » façon de voyager qui te manquent ?
Avant, je prenais souvent l’avion. Ce qui est pas mal pour partir à plein d’endroits. Donc j’avais tendance à partir entre 10 jours et 3 semaines. Souvent j’avais envie de maximiser mon séjour. C’est-à-dire qu’il fallait que je vois le plus de choses, que je rentabilise le séjour. Et il ne fallait pas qu’il y ait une journée « temps mort ». Car sinon j’avais la sensation de perdre une journée, c’était la catastrophe. Je suis en Islande, s’il pleut, catastrophe, qu’est-ce que je vais faire ! Il y avait un aspect assez très consumériste du voyage, même on parle de tourisme d’ailleurs. Puis, les gens quand on rentre nous demande ce qu’on a vu. On dirait qu’il y a un palmarès de trucs à voir. Check !
Mais au final avec le recul, il y a des endroits comme ça où j’ai regretté, je suis passé à la va-vite. Et je n’ai pas pris le temps de m’imprégner. Tout n’est pas à jeter, cependant ça reste une manière très conventionnelle de voyager. Aujourd’hui, j’ai fait le choix de ne plus prendre l’avion. Bon il ne faut jamais dire jamais, mais pour l’instant, je ne le prends plus. En fait, ce qui pourrait me manquer c’est la facilité d’accès aux cultures lointaines, aux pays lointains. Car si on veut y aller sans avion c’est faisable, mais il faut beaucoup de temps. Mais pour l’instant, je fais une croix là-dessus. Bon, on peut aussi imaginer quelques folies, du type, partir en Chine, en Amérique du Sud, sans recourir à l’avion, c’est faisable ! Sauf qu’il faut un bon mois ou deux, pour prendre notre temps.
J’avoue que pour l’instant je ne peux plus prendre l’avion, je pense avoir eu mon crédit d’avion. J’ai ma conscience écolo qui me bloque. Au final, ça ne se révèle pas être un besoin. D’ailleurs dans la foulée de toute cette prise de conscience, j’ai laissé ma voiture et je me suis mis au vélo. Comme j’habite en ville, c’est assez facile. puis je me suis rendu compte que je ne pouvais plus aller où je voulais, comme je voulais. Et ça va. Je me rends à certains endroits moins souvent, mais j’en profite plus. De là, il y a tout un rapport au temps, à savourer ce qu’on a, qui est très différent.
Vers un nouvel état d’esprit par des voyages plus lents
Aujourd’hui, en tant que voyageur slow, quel est ta vision du voyage, ton état d’esprit pour partir en vacances ?
Avec ce genre d’approche de voyage, on n’a pas grand chose à réserver en général (hôtel, gîtes). Donc c’est un état d’esprit spontané, je ne planifie pas trop. J’essaye d’être au maximum dans le lâcher prise, dans l’impro. Peut-être pas tout faire dans l’impro. Cet été j’étais en Italie, on est rentré en train, on a acheté nos billets de correspondances suivantes, dans chaque gare. Tout était au fil de l’eau. C’est un état d’esprit avec plus de lenteur, plus le temps de s’immerger quelque part, pas de course, et essayer d’éviter les impératifs « ce soir, je dois être absolument là ».
Comment s’organise le voyageur slow ?
En terme de budget, d’organisation, le voyage slow te semble-t-il compliqué, difficilement accessible ?
Alors ça dépend de quel type de voyage. Je fais plutôt de la randonnée, donc je vais parler sur ce sujet-là. Pour la randonnée, c’est surtout une question de préparation, d’avoir un peu l’expérience de marcher, du matériel. Le matériel c’est un peu cher, mais au final si on cumule du matériel, ce n’est pas plus cher qu’un trajet en avion Paris-Rio. Et c’est un investissement à long terme. Une fois qu’on a l’équipement, le budget n’est pas très élevé. Surtout si on veut être autonome. Et même si on s’arrête de temps en temps pour manger quelque part, ce n’est pas énorme en terme de dépenses. Ou dormir sous la tente, ça peut être gratuit.
Par contre, il faut avoir un état d’esprit prêt à ce type de voyage qui n’est pas forcément sécurisant. En effet, ce n’est pas balisé, il n’y a pas de réservation, pas de tour opérateur. C’est une forme d’improvisation qui permet aussi de prendre le temps, et qui apporte un certain lâcher prise. Il n’y a pas besoin de s’organiser des semaines à l’avance, d’attendre dans un aéroport, de stresser pour les correspondances. Au final, c’est relaxant.
Comment s’organisent les repas du voyageur slow en randonnée ?
Aussi, sur le plan alimentaire, si on veut être autonome ou si on veut se ravitailler au fil du voyage, ce n’est pas forcément la même organisation. On traverse des villages, on peut trouver des commerces, des boulangeries. Juste il faut penser à faire attention aux jours comme le dimanche ou le lundi où c’est parfois fermé. Pour ma part, j’avais pris de la nourriture pour quelques jours. Mais je prévoyais aussi de consommer sur place ou un ravitaillement. En fait, ça dépend de l’état d’esprit, et du poids du sac aussi ! Au menu ce ne sera certainement pas un gros gueuleton. On prévoit des pâtes, de la semoule, des fruits secs. Puis, en randonnée, quand on a fait ça nous parait délicieux.
Pour l’eau, il ne faut surtout pas faire n’importe quoi, selon la saison et la région. Par exemple, quand j’étais parti en juin de Montpellier, là j’avais fait attention à ma quantité d’eau. J’avais prévu une gourde d’1,5 litres. Puis avec les cartes de randonnées IGN, on a toutes les sources, les fontaines, les ruisseaux, qui sont indiquées. C’est vraiment un point qu’il faut un minimum planifier. Est-ce que je vais avoir de l’eau sur mon parcours aujourd’hui ? Autre exemple, dans les Cévennes à l’automne, l’eau foisonne. Un autre point d’eau auquel on ne pense pas, ce sont les cimetières.
J’ai récemment visité ton exposition photo « itinérance lozérienne » : est-ce le voyage qui t’a amené à la photographie ou l’inverse ? Dans cette exposition, on découvre des paysages, qu’est-ce que tu cherches à capter dans ces instants de contemplation de la nature ?
La photographie est venue il y a longtemps, et ça n’avait rien avoir avec le voyage. Je photographiais les phénomènes météos. Ensuite, j’ai eu envie de découvrir des coins et de les immortaliser. Pour les paysages, c’est une bonne question. Je pense que c’est une émotion du moment. C’est très beau et je veux garder un souvenir de ça. Même si au final le souvenir est dans la tête. C’est un souvenir que je vais pouvoir partager. Mais il y a certainement une part d’inconscient qui ne sait pas pourquoi je photographie les choses. J’ai envie de capter la lumière, les couleurs. Puis il y a des fois, où je range mon appareil et où je regarde. Je m’imprègne.
Et si vous vous lanciez dans l’aventure slow ?
Est-ce que tu pourrais nous briefer avec quelques conseils, si on voulait se lancer dans l’aventure itinérante pour quelques jours : les indispensables à emporter dans le sac à dos, autonomie / rationnement alimentaire, eau, dodo, nombre de jours pour une première expérience ?
La première chose à avoir c’est une bonne carte ! Je trouve que rien ne vaut une bonne carte papier. Un téléphone, ça se décharge. La batterie ça peut lâcher parce qu’il fait froid. Et puis c’est insupportable de zoomer, dé-zoomer sur son téléphone portable. La carte, on peut l’étaler. Et il faut savoir lire une carte. C’est un autre rapport au voyage, on sort du numérique, des écrans. D’ailleurs en général, le téléphone je le mets en mode avion.
Ce que je conseille aussi, c’est de commencer sur deux jours de marche, avec une nuit quelque part. Personnellement, j’ai commencé le bivouac en groupe avant de partir marcher seul pendant une semaine. Il faut y aller à son rythme, sans brusquer les choses. Aussi chacun met son niveau de confort où il veut. Certains veulent un oreiller, d’autres un tapis plus confortable. Pour les coups de barre, toujours avoir un truc à manger, qui requinque comme des barres de céréales. Si on a envie de vivre cette aventure slow, ça vient. Il ne faut pas se forcer ! Un autre petit conseil, c’est d’avoir une cape de pluie et de bien s’entraîner à la mettre. Car je ne savais pas la mettre, et le jour où j’ai pris un orage, je me suis retrouvé trempé le temps de comprendre comment on la mettait. Puis pourquoi pas prendre un petit bouquin, un cahier pour écrire.
Un grand merci Julien Coudsi pour ce témoignage sur comment devenir un voyageur slow, par l’expérience de la marche. Toutes les photos de cet article sont de Julien Coudsi, et vous pouvez retrouver son travail sur son site internet. J’espère que ces paroles, d’un voyageur slow, vous apporteront le souffle et l’inspiration pour dessiner de nouveaux horizons sur votre manière de voyager. Ou, si vous êtes déjà dans cette démarche depuis longtemps, ou depuis peu, que vous aurez le plaisir de nous partager votre expérience à la suite de cet article. Car ensemble, on va plus loin vers des voyages écologiques !